En interrogeant la fonction de surveillance et le maintien de la discipline dans l'enseignement secondaire public, nous avons abouti au constat de l'émergence d'une préoccupation du bien-être de l'élève dans le régime disciplinaire actuel dont la forme et le contenu évoluent vers une nouvelle gestion de l'ordre scolaire. Notre communication montrera que les pratiques professionnelles des assistants d'éducation, à l'instar de leurs responsables hiérarchiques, les conseillers principaux d'éducation (CPE), s'inscrivent dans le traitement social des situations-problèmes sous-jacentes aux indisciplines alors que, de manière prescriptive, leurs missions sont reléguées aux tâches de « police » assurant la sécurité des biens et des personnes. Nous entendons par « traitement social » la prise en compte de la psychologie et de l'environnement social de l'élève dans la remédiation aux dysfonctionnements éducatifs et le rétablissement de l'ordre. Le traitement social des transgressions disciplinaires n'est pas l'apanage des surveillants et CPE. Suite à la montée du sentiment d'insécurité dans les établissements et aux interactions problématiques entre ces derniers et les « quartiers », l'Education nationale a mis en place ces dernières années des dispositifs d'« inclusion-exclusion » visant à accueillir les élèves en exclusion. Ces dispositifs sont conservatoires et coercitifs et relèvent de la sanction par leur mode de fonctionnement et leurs finalités éducatives institutionnelles (isolement, emploi du temps contraignant, rappel à la règle...). Nous montrerons que, dans les faits, ils répondent à des logiques politico-sécuritaires car partie prenante des mesures de « paix sociale » des politiques de la Ville dans le cadre d'un partenariat garantissant le renforcement de l'encadrement scolaire en ressources financières et humaines des établissements. Ils ont, en outre, pour contenu éducatif des logiques juridico-morales en raison des objectifs assignés aux interventions des délégués du Procureur de la République et des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) découlant d'un partenariat entre l'Education nationale et le ministère de la Justice. Or, comme nous le relèverons, ces logiques sont en antagonismes et indissociables du traitement social des transgressions disciplinaires, et subséquemment de la préoccupation du bien-être de l'élève, impulsé par les pratiques professionnelles non moins informelles que réelles des intervenants, à l'exemple de celles des surveillants et des CPE. Nous conclurons en soulignant que cette préoccupation du bien-être de l'élève émane d'un pouvoir disciplinaire transversal qui s'émancipe des rapports hiérarchiques d'hétéronomie du régime disciplinaire traditionnel marqué, comme l'analysait Foucault, par l'organisation et la répartition des espaces, du temps et des corps[1]. Et ce, pour entrer dans l'ère des « sociétés de contrôle », comme l'entrevoyait Deleuze[2], grâce à des dispositifs producteurs de partenariats et ainsi d'une surveillance réticulaire et imperceptible. Nous ferons observer que, dans les établissements secondaires, ce contrôle est social car il remédie à une « insuffisance », l'individu, comme le soulignait Ehrenberg[3], n'étant plus écartelé entre le « permis » et le « défendu » mais entre le « possible » et l'« impossible ». Ce qui est le propre des sociétés néo-libérales, économicistes et individualistes, où la « Règle » seule, tant défendue par Durkheim[4], n'est plus socialement intégrative. Ce constat, nous le tirons des résultats d'une recherche[5] reposant sur une approche socio-historique qui emprunte son cadre théorique et conceptuel à l'Analyse institutionnelle et sa méthodologie à celle « régressive-progressive » d'Henri Lefebvre[6].
[1] Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975.
[2] Gilles Deleuze, Pourparlers, 1972-1990, Paris, Les Editions de Minuit, 2007.
[3] Alain Ehrenberg, La fatigue d'être soi. Dépression et société, Paris, Odile Jacob, 1998.
[4] Emile Durkheim, L'éducation morale, Paris, PUF, 1992 (première édition, Paris, Librairie Félix Alcan, 1934).
[5] Morad Amrouche, La surveillance et le maintien de la discipline dans l'enseignement secondaire public. Des maîtres d'internat du 19e siècle aux dispositifs d'aujourd'hui : une fonction problématique, Thèse de doctorat en Sciences de l'éducation, Antoine Savoye (Dir.), Université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis, Décembre 2015.
[6] Henri Lefebvre, « Perspectives de la sociologie rurale », dans : Du rural à l'urbain. Textes rassemblés par Mario Gaviria, Editions Anthropos, Troisième édition, pp. 63-78. Texte précédemment paru dans Les Cahiers Internationaux de sociologie, 1953.